La librairie est morte, vive la... ?

La quoi ?
Le monde de la librairie vit une mutation sans précédent, le commerce électronique et la dématérialisation du livre .
Comment les libraires doivent-ils s'adapter à cette nouvelle donne ?
Si la librairie d'aujourd'hui est morte, alors quelle sera-t-elle demain ?

mercredi 21 mars 2018

La créolibrairie ou comment vendre le virtuel ?


Dans un précédent billet, j'écrivais :

"La véritable "expérience client" n'est-elle pas, en fait, celle d'améliorer notre "qualité de présence" au lecteur/client, bref sa relation, quitte à la renforcer par une nouvelle culture qu'est le numérique ?
Si le numérique est une culture, alors elle devrait facilement se marier (créoliser) avec le li(v)re."

C'est pour cela que je reprends le terme de créolisation, cher à Edouard Glissant, bien plus puissant que le métissage.

"La créolisation exige que les éléments hétérogènes mis en relation « s’intervalorisent », c’est-à-dire qu’il n’y ait pas de dégradation ou de diminution de l’être (du li(v)re, de la librairie), soit de l’intérieur, soit de l’extérieur, dans ce contact et dans ce mélange."

C'est pourquoi, aujourd'hui, nous assistons bien plus aujourd'hui au métissage des univers du numérique et du tangible, qu'à la créolisation, souhaitable.
Car le numérique étant une culture (non encore intégrée pour certains), elle dépasse largement le seul outil.
Or cet outil, en tant que progrès technique, change nos vies.

Anecdote que je raconte souvent à mes amis :
Alors étudiant à l'Université de Lille, je me souviens d'un professeur qui posât cette question, bien provocante pour de jeunes oreilles : "est-ce l'homme qui fait la machine ou la machine qui fait l'homme ?"
Inutile de vous dire, qu'à l'époque, nous avions bondi, fiers de notre humanité, en répondant que l'homme invente la machine, il s'outille, il est créateur, innovateur, la machine ainsi répond à ses besoins et ses désirs... Au doigt et à l'oeil !
Belle naïveté (que je garde précieusement en moi).
MAIS.

Oui, MAIS, c'était sans comprendre en quoi la charrue, outil tiré par le cheval, devenait le prolongement de l'homme. Et de constater, en quoi, cette invention agricole (de l'Homme), transformait non seulement le territoire (la terre, la paysage) mais aussi et surtout les mains du paysan, ses épaules, son dos, bref son être tout entier.

Que dire aujourd'hui de ces outils que nous utilisons (insidieusement ?) au quotidien : ordinateurs "personnels", tablettes, et plus encore smartphone, et demain IoT, Internet Of Things, internet des objets ?
Que dire encore de ce nouveau territoire (paysage) qu'est le web ? Territoire virtuel en changement rapide et perpétuel... sous nos claviers.
Nouveau territoire, en plus de la terre ferme, du tangible, du magasin, qui nous amène à une triangulation.

Autre exemple, ma passion de l'exploration des montagnes m'a appris l'orientation, la cartographie (sans GPS;).
L'outil : une boussole
Territoire tangible : la montagne
Territoire mi-tangible mi-virtuel : la carte
Objectif : opérer une triangulation et tracer l'azimut.
But : savoir où l'on est et où l'on va.

"Facile" avec un territoire stable et une carte représentant cette stabilité : un plan, une carte, une (Google) Map.

Mais que faire quand ce territoire est mouvant et que par définition, aucune carte stable ne peut la représenter, sachant que les outils changent aussi tout le temps ?


 
Je ne reviendrais pas sur la devise du capitaine Némo que j'ai fait mienne : "Mobilis in mobile", mais remarquez que ce personnage de Jules Verne... navigue (comme nous sur le web).

Prenons maintenant le li(v)re.
Quoiqu'on dise, quoiqu'on fasse, et même si avec des couches d'idées historiques, philosophiques, géographiques... etc., se chevauchant plus ou moins, aucune n'est annulée par celle qui vient, la lecture vit ce même changement culturel qu'est le numérique.

Ecoutez ici, la très suivie chronique de Brice Couturier, intitulé : "Comment le numérique a hybridé la consommation culturelle." Où l'on parle d'hybridation. CQFD

Donc, face à ces nouveaux outils changeants (smartphones...), ces nouveaux territoires changeants (formats...) naissent de nouvelles formes d'écriture et de lecture.
Peut-on ainsi penser que leur commercialisation ne changera pas ?
Le librairculteur peut-il outre-passer le changement que ces outils sont en train de produire sur ses clients/lecteurs, sur lui ?

Peut-être que les commerces traditionnels (intermédiaires) devront disparaitre tels les dinosaures en leur temps, laissant la place à de nouvelles formes de commerce triangulaire (autres intermédiaires), capables d'orienter le client/lecteur ? Les créolibrairies ?

Et c'est cette mutation qui m'intéresse.
Aujourd'hui, certains pure-players du livre envahissent des territoires vierges pour eux, ici.
D'autres acteurs redéfinissent le territoire tangible, réintermédient, nous ramenant à la supérette de mon grand-père, ici. (Entre parenthèses (deux fois), le marché existe toujours)
Ou encore un éditeur purement numérique, rejetant à une époque le papier, autant que les éditeurs papier le numérique, et qui aujourd'hui propose des versions papier de ses ebooks (certes, en impression à la demande, mais tout de même), ici, mais aussi qui reste convaincu que l'ebook ne se vendra jamais en librairie physique.

Il est vrai que je n'ai pas trouvé à ce jour une organisation, une personne (quoique) capable d'aborder cette complexité, et de la réaliser (quoique).
Comment opérer cette triangulation permettant de se repérer et d'accompagner des lecteurs sur ces nouveaux chemins changeants de la lecture ?

Cela commence par soi, comme le disait Gandhi.
Il faut se créoliser soi-même, permettant de laisser naitre cet imprévisible qui rend ce métier l'un des plus beaux du monde.
Cela demande une bonne tranche d'ouverture, de curiosité, et telle Alexandra David-Neel, que j'ai relu récemment, du courage, de la constance, de l'endurance, et ce goût irrémédiable pour l'aventure, l'exploration.

"L'action, avec toutes ces incertitudes, est un rappel permanent que les hommes ne sont pas nés afin de mourir, mais afin de commencer quelque chose de neuf"
Hannah Arendt

Le livre et la lecture vous tiennent en joie !