La librairie est morte, vive la... ?

La quoi ?
Le monde de la librairie vit une mutation sans précédent, le commerce électronique et la dématérialisation du livre .
Comment les libraires doivent-ils s'adapter à cette nouvelle donne ?
Si la librairie d'aujourd'hui est morte, alors quelle sera-t-elle demain ?

samedi 17 janvier 2015

Eloge du Lieu

C'est une véritable obsession depuis que je suis entré en librairie, l'obsession du Lieu.
Je ne pensais pas il y a maintenant une vingtaine d'années, que cela prendrait autant d'importance, car à l'époque les effets d'internet et des médias sociaux, même si on les préssentait, n'étaient pas encore réalité...

Cette obsession vient peut-être du fait que j'ai commencé à travailler dans le Nord plus précisément dans le bassin minier (aujourd'hui élu au patrimoine mondial de l'UNESCO), là où "le" culturel (officiel) avait du mal à prendre pied... (Cf. l'installation du Louvre à Lens).

Or, cette région Nord et Pas de Calais est "la" région du (des) Lieu(x), certainement liée à son passé industriel. Donc peut-être ai-je été dès le départ saisi par cette nécessité de se retrouver dans les Lieux tiers, entre le chez soi et le travail, on les appelait les Estaminets, ancestralement café multi-services.

Bref, le Lieu a toujours eu son importance social, et on a peut-être (trop) vite cru qu'il disparaitrait sur l'autel des réseaux sociaux sur lesquels bon nombre cherche à crever les plafonds d'amis.

Quid de l'incarnation, de ce besoin viscéral que nous avons de nous rencontrer dans des Lieux ?

Mon obsession a grandi (pour ne pas dire vieilli;) avec moi et prend une toute autre ampleur aujourd'hui.
le Lieu ne deviendrait-il pas une nécessité (urgente) ?
Mais quel Lieu ?

Il y a donc bien longtemps que je me pose la question du Lieu librairie, qui n'est autre qu'un lieu de commerce de livres. Uniquement ?
J'ai rarement rencontré, à l'inverse de ce que disent les libraires, de véritables Lieux de vie du livre.
L'évolution de l'économie, de la production de masse et de la consommation qui va avec depuis ces dernières décennies, ont façonné les commerces (avant, de proximité) en lieu de distribution de produits à mettre dans les rayons et en libre service pour le client.
D'ailleurs, on a vu naitre la "grande distribution".
Mais même les commerces de centre ville sont devenus des magasins de moyenne et petite distribution, accompagné d'un accueil de moins en moins agréable. Moins "familial" ?
La relation, l'expérience client ont été sacrifiées sur l'autel de la distribution.
Or, le commerce, ce n'est pas de la distribution, quelque soit sa taille.
Le commerce, le vrai, est un lieu de relation, d'échange social dans lequel on en profite pour acheter ce dont on a besoin ou ce qui (nous) fait plaisir.

La librairie a subi et présente aujourd'hui ces mêmes travers.
Ce sont pour la grande majorité des lieux de vente de livres. Je ne reviendrais pas sur l'élitisme parfois (encore) présent, l'accueil aléatoire... Je vous renvoie au rapport de l'Obsoco.

Je reviens au Lieu, et peut-être devrions-nous nous entendre sur la notion de Lieu.
C'est ce que tente deux livres que je viens de découvrir, un que je suis en train de lire, un autre dont qui est sorti cette semaine.

Le premier s'intitule :"The great good place" de Ray Oldenburg dont j'ai déjà parlé dans un billet précédant.
Ray Oldenburg est professeur de sociologie en Floride, et évoque dans ce livre la notion de "great good place" ou de " third place"...


Ce qui me permet de faire la transition vers le livre d'Antoine Burret, "Tiers-Lieux, et plus si affinités" qui sorti chez l'excellent éditeur Fyp en ce mois de janvier 2015.
Vous pouvez d'ores et déjà vous familiariser avec cet esprit, en consultant le wiki MoviLab.
De la nécessité de Lieux qui intègrent en plein les évolutions de notre société, en intégrant également le numérique dans toute sa complexité, mais en en faisant aussi un outil universel de partage et d'ouverture.
Le tiers-lieu intégrant également l'esprit d'Open source.

Voici un résumé et un historique en images par Yoann Duriaux : 


Enfin, c'est en lisant un article sur Simone Weil que Michel Dussault, enseignant-géographe à l'ENS de Lyon, apporte un élément supplémentaire, cher à Simone : la notion d'ancrage, d'enracinement. 

Je cite Michel Dussault (Philosophie Magazine) :
"Pour moi la géographie ne se réduit pas à la topographie, à l'étude de la localisation des faits sur une étendue. Je la définis beaucoup plus comme une anthropologie de l'habitation humaine.
Le problématique centrale de la géographie qui m'intéresse est celle des relations que les individus nouent avec leurs espaces de vie. Nous nous installons dans des lieux dont nous héritons, et qu'en même temps nous construisons, nous modifions - nous sommes donc à la fois des "receveurs" et des bâtisseurs. Mais toujours, l'homme a un besoin fondamental de s'ancrer dans un espace, de déployer son existence à partir d'un lieu, d'un habitat d'origine. L'intuition géniale de Simone Weil est de dire  que l'enracinement dans un territoire est une condition de tenue de l'être humain - s'il n'a pas cet ancrage dans un espace qui n'est pas seulement fonctionnel, mais également culturel et spirituel, au sein duquel il se constitue en tant qu'être parlant et agissant, il n'a plus d'étai et s'effondre."
(...)
Faisant référence au livre "L'accélération" d'Hartmut Rosa :
"Or, par la circulation ultrarapide des êtres et des choses qu'elle promeut, la mondialisation peut faire de nous des déracinés. Une forme de l'aliénation actuelle consiste à ne plus avoir d'ancrages, de haltes où se poser. Dès lors, un travail de ré-enracinement devient une exigence impérieuse  pour les individus nomadisés. Ce travail passe par la réappropriation  de lieux où inscrire son histoire (...), de produire du récit sur des espaces où l'on s'insère et se reconnait.
(...)
Quand il se sent aliéné, opprimé, étranger à lui-même, l'individu invente des espaces où se ré-ancrer : un village, une contrée, une place, (la librairie ?) mais cela peut-être son propre corps..."

Tous mes voeux pour cette nouvelle année 2015.

Le Lieu, le livre et la lecture vous tiennent en joie.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire